LE SITE DE LA CHARTREUSE
La Chartreuse de Liège En 1106, Henri IV, Empereur du Saint-Empire romain germanique, décèda à Liège. Sa dépouille reposa pour un temps sur le Mont Cornillon, qui devient plus tard le berceau de l’institut des Prémontrés. Ces religieux, las des pillages, quittèrent le Mont en 1288 pour aller s’installer en bord de Meuse. La rue des Prémontrés les rappelle à notre mémoire. En 1357, le Prince-Evêque de Liège, décida d’établir un monastère de moines Chartreux sur le Mont. On l’appela Chartreuse. Ils s’installent en 1360. Les moines creusent une galerie dans la colline pour canaliser l’eau des sept sources du plateau. Cette galerie, toujours en activité, alimente encore certains habitants du Thier de la Chartreuse. Les moines reçoivent en 1381 l’autorisation de construire un pont au-dessus du Thier de la Chartreuse pour rejoindre leurs cultures en enjambant la chaussée. Ce pont est l’ancêtre de l’Arvo du Thier de la Chartreuse, qui lui fut construit au XVIIème siècle. Bien que la vue sur la cité soit magnifique, cet endroit est loin d’être idyllique car il constitue une position stratégique : il commande la route d’Aix-la-Chapelle, et il domine la ville. Les moines ont d’ailleurs beaucoup souffert de guerres.
Le premier Fort de la Chartreuse
Pendant presque tout le XVIIème siècle, un vent de guerre souffle sur l’Europe. Le pays de Liège, coincé entre de puissants voisins, en subit plus d’une fois les tristes effets.
La guerre de la Ligue d’Augsbourg se déclenche en 1688. Elle oppose les Français et les Coalisés (Anglais, Hollandais, Espagnols, Allemands …). A Liège, les Hollandais s’aperçoivent très vite de la position stratégique du Mont Cornillon, et décident de Fortifier le monastère. L’ouvrage ne parait pas avoir une grande valeur défensive, et ne résistera pas longtemps au siège que lui inflige en 1691 le marquis de Boufflers. C’est de cet endroit qu’il fait bombarder Liège le 4 juin de la même année, avant de se retirer devant la contre-offensive des Coalisés. Suite à ce désastre, le Pince-Evêque fait achever la Fortification du monastère, avant qu’il ne soit récupéré en 1694 par Meno van Coehoorn dit le Vauban hollandais, qui fera de la Citadelle et de la Chartreuse de vraies places Fortes.
Vu la configuration du monastère, à flanc de colline, il était impossible de construire un Fort hexagonale. La solution fut de construire une demi-Forteresse., englobant les bâtiments couventuels, et coupant le “chemin royal” (voie Charlemagne vers Aix-la-Chapelle. Au sud, les défenses s’avançaient dans le plateau de Péville afin d’en dominer le point culminant. Cet ensemble de bastions et demi-lunes était construit en terre argileuse, renforcée de palissades de chêne.
La reconstruction du Fort
Après le retour à la paix, les moines veulent récupérer leurs terres, et obtiennent l’autorisation de démolir les Fortifications. Mais les hostilités de la guerre de succession d’Espagne menacent Liège, alliée cette fois aux Français et Espagnols. Le Fort est reconstruit à la hâte en 1702 sur base des plans de van Coehoorn. En octobre 1702, le Fort subit un feu d’enfer et ne résiste pas. Les troupes capitulent ; le monastère n’est plus que ruines.
Les moines reconstruisent les bâtiments avant de subir un ultime pillage en 1793, pendant la Révolution française. Le monastère fut une nouvelle fois saccagé. Les moines, expulsés, reviennent peut après avant de s’en aller définitivement en 1794 quand les Autrichiens envahissent Liège et bombardent Outremeuse depuis l’ancienne place Forte.
L’après-Chartreux
En 1794, les biens des Chartreux sont mis en vente. Le propriétaire fait démolir l’église en 1799. Huit des dix colonnes en marbre sont récupérées pour orner la façade de l’Opéra Royal de Liège.
De 1829 à 1853, les bâtiments accueillent une maison de santé, avant d’être acquis par les Petites Sœurs des Pauvres qui y fondent une maison de repos. Les terres à l’ouest sont vendues à l’état en 1914, tandis que les parties est sont loties à partir de 1928.
Le plateau sud quand à lui est réquisitionné à partir de 1817 pour y construire une véritable Forteresse.
La Forteresse hollandaise
En 1815, après la défaite de Napoléon à Waterloo, les alliés se partagent le territoire qui deviendra bientôt Belgique, et, selon le Congrès de Vienne la même année, retourne aux Hollandais.
Le duc de Wellington se rend alors à Liège pour aider les Hollandais à Fortifier les hauteurs de la ville, et choisit le plateau de Péville pour y construire une nouvelle Forteresse, jugeant le monastère trop vulnérable. Bien que cette fois le Fort n’occupe pas le monastère, l’appellation Fort de la Chartreuse s’impose d’elle-même.
La construction du Fort Hollandais s’achève en 1823. Notez qu’une partie des pierres utilisées pour sa construction sont issues des démolitions de la Cathédrale Saint Lambert. A l’époque, il n’était constitué que de deux niveaux. Il a été conçu pour tenir un siège de 100 jours. A Anvers, Charleroi, Mons, Namur, Gand, Ostende, Bouillon… d’autres places Fortes ont également été construites ou modernisées. Ces ouvrages font partie de la Barrière Wellington, ligne défensive initiée par le Duc pour se protéger de l’envahisseur.
Le Fort couvre alors une superficie de 43ha, mais la zone stratégique non aedificandi était de 470ha. La place Forte a une forme pentagonale ; deux des lignes de front sont dirigées vers la ville, tandis que trois autres sont tournées vers l’ennemi potentiel.
A l’époque, un Fort moderne est constitué d’un corps de place, d’ouvrages extérieurs et d’un réduit.
De place Forte à simple caserne
Suite à la guerre franco-allemande de 1870, la Belgique, pays resté neutre dans le conflit, est priée de sécuriser ses frontières avec l’Empire allemand. Evolution technologique oblige, le Fort de la Chartreuse est dépassé et plus adapté aux évolutions militaires, notamment en ce qui concerne l’artillerie. L’architecte militaire Brialmont est en outre chargé de construire un cercle de Fortifications pour protéger Liège : ce sont les fameux Forts de Chaudfontaine, Fléron, Embourg, Loncin … construits cette fois en béton.
Le Fort de la Chartreuse perd de son intérêt, et est déclassé en tant que Forteresse en 1891. Il est alors converti en simple caserne. Deux blocs sont ajoutés en 1939, et un troisième en 1955. Typique de leur époque, leur architecture fonctionnelle traduit un certain modernisme : structure en béton armé, toits plats, parements en brique orange, larges baies horizontales.
La Dame Blanche
Au cours de la première guerre mondiale, les troupes allemandes pénètre dans le Fort en aout 1914. Elles le transforment en prison. Sur un des bastions les allemands fusillent 49 condamnés à mort, dont certains faisant partie de la Dame Blanche, réseau de résistants créé par Walthère Dewé.
Le réseau prend ce nom en référence à une légende allemande indiquant que la fin de la dynastie des Hohenzollern (dynastie impériale allemande) serait annoncée par l’apparition d’un spectre de femme toute blanche. Il fournit 75 % des renseignements collectés dans les régions occupées de Belgique et du nord de la France. Vers la fin de la guerre, ses 1.300 agents couvraient la Belgique occupée, une partie du nord de la France avec le réseau de Louise de Bettignies et le Grand-Duché de Luxembourg. Dewé récidiva pendant la Seconde Guerre mondiale avec le réseau de renseignements Clarence qu’il avait préparé dès 1939. Moins chanceux qu’en 1914-18, Dewé fut abattu par les Allemands en 1944, ayant refusé de se rendre.
Les espions qui se faisaient prendre étaient d’abord enfermés à la prison Saint-Léonard, avant d’être fusillés à la Chartreuse. Une stèle sur le bastion qui les honore rappelle ce drame, et certaines rues du quartier portent aujourd’hui les noms de ces héros.
Durant la seconde guerre mondiale, le Fort de la Chartreuse ne joue aucun rôle fondamental, et abrite un hôpital militaire américain.
Héritage
Malgré la disparition d’une partie des ouvrages de défense au profit de l’urbanisation des quartiers voisins après le déclassement de 1891, de nombreux éléments de patrimoine militaire sont encore présents sur le site, à commencer par le bâtiment central de casernement.
À l’origine, le Fort hollandais, heptagone entouré de fossés secs, ne possédait que deux niveaux, comptant une hauteur totale de 9,4 mètres. L’étage primitif était surmonté d’une voûte de deux mètres d’épais- seur, à l’épreuve de la bombe. Dans le but d’amortir les impacts, l’ensemble du Fort était également recouvert de terre. Les murs situés côté cour avaient une épaisseur de 1 mètre, percés de baies à encadrement de pierre de taille, tandis que ceux dirigés vers l’esplanade avaient 1,5 mètre et étaient percés de meurtrières. À l’intérieur, ces murs étaient reliés entre eux par des cloisons épaisses déterminant des chambres de 21,5 sur 5,6 mètres.
Les bâtiments du Fort visibles de nos jours sont le résultat de remaniements effectués sur le Fort hollandais originel, avec notamment l’ajout de deux niveaux et de toitures en pente.
Le Fort conserve également son entrée, modifiée en 1940-1945.
Des éléments de l’enceinte bastionnée sont par ailleurs conservés au nord du site, du côté des rues des Fusillés et Thier de la Chartreuse, ainsi que du côté du parc des Oblats. Des vestiges de remparts, de galeries, de rampes d’accès et de fossés sont encore visibles au niveau des bastions.
Les murailles verticales en brique restent un élément porteur de lisibilité du site. Peuvent encore y être observés les parements de brique, les soubassements et chaînages d’angle en pierre, les bouches d’aération, les meurtrières, les poternes d’accès…